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Conseils

Conseils méthodologiques pour les recherches de toponymie

Comme tout domaine de la connaissance, l’étude des noms de lieux, pour être menée correctement, doit reposer sur certains principes et tenir compte de différentes données.

Ces pages ont pour but de guider les personnes qui souhaitent entreprendre une recherche toponymique, en particulier sur le territoire d’une commune.

Pour éviter, autant que possible, les pièges qui peuvent se présenter - parfois de façon tout à fait inattendue - il est indispensable de ne pas se fier aux apparences et de toujours prendre en considération trois éléments essentiels :

  • les formes anciennes des toponymes ;
  • la langue employée et ses particularités locales ;
  • la réalité des lieux, leur contexte historique et humain.

Un examen rapide de ces règles de base est nécessaire, avant d’aborder les modalités concrètes de la recherche.

► LES FORMES ANCIENNES

 La forme actuelle des noms de lieux les plus anciens est le résultat d’une évolution qui a souvent rendu méconnaissable la forme originelle. Cette transformation peut être le fait :

- soit d’une évolution phonétique normale : Lyon (Rhône) est l’aboutissement de la forme gauloise Lugdunum, attestée au Ier siècle avant J.-C. ;

- soit d’une déformation plus ou moins accidentelle, notamment lorsque, à un moment donné, la valeur initiale d’une forme n’a plus été comprise : Saint-Chamas (Bouches-du-Rhône) est en fait un « Saint Amance », puisque noté Sanctum Amantium en 969.

Dans tous les cas, le toponymiste doit s’appuyer sur les formes anciennes qui peuvent exister dans les documents de différentes époques, afin d’essayer de retrouver le nom d’origine et d’en reconstituer l’évolution.

Pour les localités, comme pour les montagnes et les cours d’eau d’une certaine importance, les premières attestations peuvent, dans certains cas, remonter à l’Antiquité. En revanche, pour les microtoponymes (noms de quartiers, lieux-dits), rares sont ceux dont la dénomination actuelle est antérieure au Moyen Âge tardif. Dans ce cas, les formes les plus anciennes seront en général assez peu différentes des formes modernes ; elles seront néanmoins utiles pour aider à déterminer à quel moment un nom est apparu.

Il est important de recueillir un maximum de formes anciennes, afin de pouvoir en apprécier la validité et la représentativité à chaque époque ; on se méfiera donc d’une attestation unique. Après l’an mil environ, les formes en langue vernaculaire sont préférables aux formes latinisées, car généralement plus proches du parler réel ; il existe en effet de fausses latinisations, formes pseudo-savantes forgées par certains scribes embarrassés de traduire en latin des noms locaux qu’ils ne comprenaient plus.

L’exemple le plus célèbre est celui de Bonneuil (Indre), latinisé en Bonus Oculus, « bon oeil » au XIVe siècle, alors qu’il s’agit d’un nom gaulois *Bonoialon, probablement « le village de la clairière ». Pour chaque attestation historique relevée, il convient d’indiquer la date et la nature de la tradition manuscrite et, dans la mesure du possible, de citer un fragment significatif du contexte. Les sources seront citées le plus précisément possible.

 LA LANGUE DU TOPONYME

 Il est évident que l’étude des noms basques, bretons, flamands, alémaniques et franciques n’est pas concevable sans une maîtrise réelle de chacune de ces langues et de leur évolution historique. Pour les régions de langue romane (français, occitan, catalan, franco-provençal, corse), si la toponymie est a priori plus compréhensible, on ne peut pas davantage faire l’économie d’une connaissance approfondie de ces langues, à la fois dans leurs variantes dialectales actuelles et dans leurs transformations au cours des siècles. En effet, où que l’on se trouve, de nombreux microtoponymes sont issus de noms communs (des appellatifs), parfois spécifiques à une aire réduite.

Il est primordial de rechercher, sous la forme courante - souvent déformée - du toponyme, la forme authentique, et d’en connaître la prononciation exacte (sans oublier la place de l’accent tonique), qui peut être déterminante pour éclairer le sens d’un nom.

Reste le cas des toponymes qui ne peuvent être expliqués ni par un mot d’une langue connue, ni par un nom de personne (il ne faut pas oublier que ces derniers sont nombreux en microtoponymie). L’explication par une origine prélatine ou, a fortiori, préceltique, ne doit être envisagée que si aucune autre hypothèse ne convient. La plus grande prudence s’impose lorsqu’il s’agit de langues dont on ignore tout. Les racines (ou plus exactement les bases) dites indo-européennes et pré-indo-européennes exercent une certaine fascination et sont trop souvent invoquées de façon abusive, car rares sont les microtoponymes qui ont pu provenir directement de ces couches linguistiques très anciennes.

Pour éviter ces dérives, il convient de ne pas confondre l’ancienneté du nom en tant que toponyme dans un endroit donné, et l’ancienneté du mot ou de la racine sur laquelle le mot est formé, selon que celui-ci appartient ou non au lexique courant. Par exemple, le nom commun baume, issu d’une base préceltique *bal-, est encore compris et usité de nos jours ; il serait donc absurde de supposer que tous les lieux-dits La Baume portent ce nom depuis la fin de la préhistoire.

Il peut exister quelques cas de « rhabillage », de réinterprétation sous une forme romane d’un nom plus ancien. C’est ainsi qu’un certain nombre de toponymes Cambon ou Chambon, assez répandus dans le Midi, et compris comme camp bon, « terrain fertile », sont probablement issus du gaulois cambo, « courbe de rivière, méandre ».

 LA RÉALITÉ DES LIEUX

 La connaissance précise de l’endroit dont on étudie le nom est une autre condition indispensable pour tenter de comprendre ce qui a motivé le nom donné à ce lieu, en ayant présent à l’esprit que chaque toponyme constitue un cas particulier. Sans cela, l’explication risque de n’être que pure spéculation. Une vérification sur place, ou auprès d’une personne connaissant bien le terrain, peut permettre d’éviter d’affirmer par exemple que tel toponyme indique un relief, alors que l’endroit en question est totalement plat.

Mais la topographie ne peut non plus apporter une preuve absolue ; le toponyme actuel peut conserver le souvenir d’une végétation disparue ou d’une construction dont il ne reste plus de trace sur le terrain.

C’est pour cela que la prise en compte du contexte humain et de l’histoire locale sont aussi des éléments importants pour parvenir à une explication plausible. Il faut donc absolument éviter de plaquer de façon plus ou moins artificielle un mot sur un nom. La toponymie ne se réduit pas à une recherche étymologique et lexicale, même si cet aspect n’est évidemment pas à écarter. Il ne s’agit pas seulement de se demander ce que signifie tel nom de lieu, mais pourquoi tel lieu a reçu ce nom précis. Enfin, le toponymiste doit savoir que, malgré toutes les investigations entreprises, il restera toujours un certain nombre de toponymes obscurs, pour lesquels aucune explication satisfaisante ne pourra être avancée.

COMMENT PROCÉDER À UNE RECHERCHE TOPONYMIQUE

L’étude de la toponymie d’une commune comprend les noms de lieux-dits et de quartiers, mais aussi les noms de cours d’eau (hydronymes), de hauteurs (oronymes), de chemins et de rues (odonymes).

Le nom de la localité elle-même, avec ses formes anciennes, a souvent été déjà étudié dans des ouvrages généraux (voir bibliographie) ; certaines des étymologies proposées sont toutefois sujettes à caution. Ne pas oublier de mentionner le nom des habitants (le gentilé) sous sa forme officielle et sous sa forme locale.

La première tâche consiste à recenser, de façon aussi exhaustive que possible, tous les toponymes encore en usage, et à recueillir un maximum de données sur eux. La recherche doit s’orienter vers les documents et les personnes susceptibles de fournir des informations :

 DOCUMENTS CARTOGRAPHIQUES ET ÉCRITS (manuscrits ou imprimés), notamment :

cartes détaillées : cartes de l’IGN au 1 / 25 000, plan cadastral actuel, plan cadastral dit « napoléonien » (début du XIXe siècle), carte dite de Cassini (fin du XVIIIe siècle), etc.

archives : cadastres anciens, livres terriers et compoix (classés dans la série CC des Archives communales et dans les séries E, F, G, H et J des Archives départementales en fonction de leur provenance), actes notariés (déposés aux Archives départementales au bout de cent ans, où ils intègrent la série E), éventuellement chartes et livres de comptes plus anciens.

Ces documents révèleront aussi un grand nombre de toponymes tombés dans l’oubli, dont la localisation sera parfois difficile, voire impossible.

Les registres d’état civil et, antérieurement, les registres paroissiaux seront utiles pour vérifier la présence d’une famille qui, en tant que propriétaire d’un lieu, a pu lui donner son nom (mais les registres paroissiaux n’apparaissent qu’au début du XVIe siècle, et la fixation d’un nom en tant que toponyme a pu intervenir bien avant).

Des connaissances en paléographie sont nécessaires pour la lecture des manuscrits anciens, quelle que soit la langue employée.

documents imprimés : outre les études d’histoire locale, consulter les éditions de documents médiévaux, que l’on trouve en particulier dans la Collection de documents inédits sur l’histoire de France, éditée par le Comité des travaux historiques et scientifiques, ou dans la série Gallia christiana, dont les textes sont classés selon les anciens archevêchés. Ces ouvrages sont généralement pourvus d’un index des noms propres. On peut aussi consulter les recueils d’inscriptions antiques, mais il faut savoir que la présence de microtoponymes dans les documents antérieurs au Moyen Âge est rare, et leur recherche forcément aléatoire.

Les Dictionnaires topographiques départementaux, publiés depuis la fin du XIXe siècle, qui recensent tous les noms de lieux et leurs formes anciennes, sont également très utiles, mais ils n’existent à ce jour que pour une trentaine de départements.

ENQUÊTE SUR LA TRADITION ORALE

 Il s’agit d’un aspect tout aussi important que le précédent. Les questions doivent porter sur la localisation précise des toponymes (celle donnée par les cartes étant parfois approximative), sur leur usage réel, sur leur prononciation exacte. Cette enquête permet aussi de recueillir des noms, parfois anciens, qui ne figurent pas dans les sources écrites.

Pour que les renseignements collectés soient fiables, il est essentiel de s’adresser à des personnes connaissant bien les lieux et le parler local. Ces personnes deviennent malheureusement de plus en plus rares, du fait de l’évolution sociologique et démographique de beaucoup de communes. Un nom de lieu mentionné par un seul informateur doit être, au même titre qu’une forme ancienne unique, considéré avec prudence. Les données recueillies peuvent parfois se révéler contradictoires.

Les noms collectés seront reportés sur une carte simplifiée du territoire étudié, en établissant un carroyage pour les localiser facilement.

Tous les renseignements rassemblés doivent permettre d’établir, pour chaque toponyme, une notice comportant :

  • sa ou ses dénominations administratives (cadastre, cartes, etc.) ;
  • son nom local (dans l’orthographe de la langue régionale) ;
  • sa prononciation (de préférence au moyen de l’alphabet phonétique international) ;
  • ses formes anciennes (avec la date et la référence des documents) ;
  • sa localisation sur la carte ;
  • ses caractéristiques, et tous renseignements utiles le concernant ;
  • sa signification, et ce qui a pu motiver le nom donné.

Cette dernière rubrique doit faire l’objet d’une réflexion approfondie, en prenant en compte les trois principes indiqués au début, afin de donner du toponyme une explication rationnelle et bien argumentée.

Si l’étude est destinée à être publiée, le classement alphabétique des notices est le plus commode pour la consultation, mais il est intéressant d’y adjoindre un classement thématique, éventuellement sous la forme d’un tableau, regroupant par exemple les noms se rapportant au relief, à l’eau, à la végétation, aux noms de personnes, etc.

QUELQUES OUVRAGES DE BASE

Bibliographie

- MULON, Marianne. L’Onomastique française : bibliographie des travaux publiés jusqu’en 1960. Archives nationales, 1977.

Idem, pour la période 1960-1985 : Archives nationales, 1987.

Ces deux recueils, qui recensent des milliers de références classées par domaine linguistique et par département, avec un index des termes étudiés, constituent une mine pour le chercheur. Voir la rubrique Documentation > France < Bibliographie >>>

Pour les études parues postérieurement, voir sur le site Internet de la Société française d’Onomastique.

Études générales

- ROSTAING, Charles. Les Noms de lieux. 12e éd. PUF, 1997 (Que sais-je ?, n° 176).

- GENDRON, Stéphane. L’Origine des noms de lieux en France : essai de toponymie. Errance, 2003.

Méthodologie

- EICHLER, Ernst et al.  Les Noms propres. Manuels de linguistique et des sciences de communication, vol. 11/1-3. De Gruyter, 1995-1996.

- MÜLLER, Wulf. Le travail du toponymiste romand. Nouvelle revue d’onomastique, 33-34, 1999.

- POIRIER, Jean. Toponymie : méthode d’enquête. Presses de l’université Laval (Québec), 1965.

- LEBEL, Paul. Principes et méthodes d’hydronymie française. Les Belles Lettres, 1956.

Dictionnaires toponymiques généraux

- DAUZAT, Albert et ROSTAING, Charles. Dictionnaire étymologique des noms de lieux en France. 2e éd. Guénégaud, 1984.

- DAUZAT, Albert, ROSTAING, Charles et DESLANDES, Gaston. Dictionnaire étymologique des noms de rivières et de montagnes en France. Klincksieck, 1982.

- NÈGRE, Ernest. Toponymie générale de la France. 3 volumes. Droz, 1990-1998.

- DEROY, Louis et MULON, Marianne. Dictionnaire de noms de lieux. Le Robert, 1992.

Études de toponymie régionale

- Une série de livres récents, parus aux éditions Bonneton (Bourgogne, Bretagne, Cévennes, Franche-Comté, Gascogne, Ile-de-France, Languedoc, Limousin, Normandie, Pays basque, Picardie…).

- Pour l’ensemble du domaine occitan, l’ouvrage de Jacques ASTOR : Dictionnaire des noms de familles et noms de lieux du midi de la France. Éd. du Beffroi, 2002.

Aspects linguistiques et dialectaux

- PEGORIER, André. Glossaire de termes dialectaux. 3e éd. IGN, 2006. Téléchargeable sur le site de l’IGN : http://education.ign.fr/sites/all/files/glossaire_noms_lieux.pdf

- Les atlas linguistiques régionaux, publiés par le CNRS, sont des outils de grande valeur pour connaître avec précision les termes locaux et leur prononciation actuelle.

Noms de personnes

- MORLET, Marie-Thérèse. Dictionnaire étymologique des noms de famille. Perrin, 1997.

Paléographie

- AUDISIO, Gabriel.  Lire le français d’hier : manuel de paléographie moderne, XVe-XVIIIe siècles. Colin, 1991.

- GUYOTJEANNIN, Olivier et al.  Diplomatique médiévale. Brépols, 1993.

- STIENNON, Jacques. Paléographie du Moyen Âge. Colin, 1973.