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Istamboul, un sommet

Istamboul, un sommet

Publication initiale dans Défense de la langue française 3e trimestre 2004

Le 28 juin 2004, on a pu voir à la télévision dans le monde entier, le président français s’exprimer derrière un pupitre portant l’inscription « SOMMET DE L’OTAN/NATO ISTAMBUL ». Cette formulation appelle certaines remarques.

Pourquoi doubler le sigle français de l’organisation des traités de l’Atlantique nord par le sigle anglais ? Cela a au moins l’avantage de rappeler qu’il s’agit de la forme française. Jacques Chirac prononce bien comme « au temps », il n’y a en effet aucune raison de parler de « l’aut’âne ».

L’orthographe du nom de la ville est étonnante. On nous impose en français Istanbul, invoquant à l’occasion des susceptibilités turques. Or, nous disposons en français d’Istamboul qui n’est pas une traduction mais une transcription du nom turc. Ce nom ne date pas d’hier, Istamboul figure déjà dans le Dictionnaire universel d’histoire et de géographie de Bouillet en 1843. On le trouverait certainement encore plus tôt.

Une transcription est l’adoption d’un nom avec une orthographe qui respecte le mieux la prononciation du nom original. L’orthographe française est bien antérieure à l’adoption de l’alphabet roman pour le turc par la Turquie après la Première Guerre mondiale. L’orthographe du turc moderne aurait donné en français une autre prononciation, comme pour Bulgarie ou Cuba.  Ce nom est depuis longtemps bien implanté,  et d’un usage très courant oral et écrit. La prononciation ne changera pas. L’adoption de l’orthographe turque introduit une distorsion dans le système du français. Est-il besoin de compliquer l’apprentissage de l’écriture ? Istamboul est l’exonyme français, comme le sont Rome ou Athènes.

Si les Turcs s’en étonnaient, il ne serait pas difficile de leur expliquer qu’ils n’ont pas à s’offusquer qu’en français on continue d’employer une forme qui respecte la prononciation turque. Pourquoi Istamboul les gênerait-il plus que Turquie pour Türkiye ? Pas plus que nous ne sommes gênés qu’en turc on écrive Fransa, Marsilya et Bordo. Quant à la connotation historique, elle est clairement turque, par opposition à la tradition grecque Byzance, ou romano-hellénique et byzantine Constantinople. Il ne s’agit pas d’imposer Istamboul en turc. Istanbul continuera d’être employé dans des domaines spécialisés, quand la forme locale est nécessaire pour des raisons techniques, comme on emploie London ou Roma, mais ces emplois sortent du domaine de la langue.

Mais alors pourquoi à Istamboul employer Istambul qui apparait en français comme une forme bâtarde ? On rencontre cette orthographe dans différentes langues, elle est la forme courante en portugais[1].

Une belle occasion perdue de montrer au monde le nom en français ! Les Turcs ne l’auraient-ils moins bien supporté que le portugais ?

Istamboul n’est pas mort on en trouve près de sept mille occurrences sur les sites d’internet malgré sa disparition de plus en plus systématique des ouvrages de référence (dictionnaires, atlas, correcteurs orthographiques) au profit d’Istanbul. On l’a compris, ce qu’on nous impose n’est pas tant la forme turque que celle de l’anglo-américain, suivant le dogme internationaliste  qui consiste à éliminer progressivement les formes françaises, selon des principes niant la diversité et la spécificité des langues. Forme insidieuse de la mondialisation qui écrase la diversité culturelle et provoque des réactions violentes menaçant la paix mondiale.

Alors réjouissons-nous que les Italiens disent Parigi, qu’en vietnamien France et français soient Pháp, que les Anglais disent Burgundy, et en français écrivons Istamboul !

Ange Bizet

Cercle François-Seydoux

29 juin 2004

 

[1] Trois fois plus fréquente que la forme turque sur les sites internet (recherche par Google à la date du sommet), sachant qu’une bonne partie des occurrences d’Istanbul sont en anglais, y compris sur les sites des autres langues.

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