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Des agences pour informer en français

Des agences pour informer en français

Publication initiale dans Défense de la Langue française n°182, 4e trimestre 1996

République serbe de Bosnie

Les médias jouent un rôle primordial, ils exercent sur le public beaucoup plus d’influence que tous les organismes qui tentent de préserver la langue. Les agences de presse qui fournissent la matière aux autres médias jouent un rôle clé. Leurs dépêches sont censées être rédigées en français, pourtant, il faut parfois les décrypter. En voici deux exemples significatifs.

Ainsi les dépêches de l’Agence France Presse (A.F.P.) diffusent des nouvelles de la «Republika Srpska». D’aucuns peuvent croire à une erreur, à une coquille ou à un sigle hermétique comme il en fleurit chaque jour. En fait, SRP ou SRB est la racine qui signifie Serbe en serbo-croate. Dans certaines langues slaves, le r est une semi-voyelle (comme y en français), ce qui explique cette succession de lettres imprononçable en français (autres exemples, l’île de Krk, ou la ville de Brno). Les trois dernières lettres (-ska) sont le suffixe adjectival féminin. Autrement dit, «Srpska» veut tout simplement dire serbe.

Pourquoi alors «Republika Srpska» et pas République serbe? On peut y voir plusieurs causes (qui ne sont pas pour autant des raisons). Cette république-là n’est pas La Serbie, celle qui veut rester «grande» et qui a conservé le nom de Yougoslavie, la République fédérative de Yougoslavie qui ne comprend plus que la Serbie et le Monténégro. Il est donc bien nécessaire de distinguer ces deux Serbies, celle de Yougoslavie et celle de Bosnie, avec la difficulté supplémentaire que la Bosnie faisait aussi partie de l’ancienne Yougoslavie.

À cette situation un peu complexe est-il vraiment besoin d’en rajouter par l’emploi d’un jargon exotique et surtout hermétique qui n’éclaire en rien les choses puisque de toute façon l’adjectif «srpska» s’applique aussi bien à l’une qu’à l’autre des deux Serbies? Qui a réellement le souci d’être compris trouve spontanément la solution et dit pour s’exprimer en français, les Serbes de Bosnie, la République serbe de Bosnie.

Alors, le souci de faire court? -Le style des dépêches l’impose.- «Republika Srpska» est plus court que République serbe de Bosnie ou République des Serbes de Bosnie. Or les dépêches de l’A.F.P. sont maintenant rédigées de la façon suivante : «Republika Srpska, R.S. (entité serbe de Bosnie)», preuve que les auteurs sont conscients de l’ambiguïté et de l’obscurité du terme. On n’y gagne pas vraiment en concision. Quelle information, quelle précision le sigle apporte-t-il? Pourquoi «Republika» ne serait-il pas traduit? - Pour marquer une distance politique vis-à-vis de cette «entité» politique? - Le sens de «Republika» est parfaitement transparent.

Serbe de Bosnie s’emploie aussi comme adjectif. Le français n’a pas de forme différente pour le nom et pour l’adjectif, hormis à l’écrit la majuscule au nom : c’est un Serbe, il est serbe. On trouve également «bosno-serbe» selon une composition (classique) consistant, dans la dérivation, à renverser l’expression pour placer le déterminant devant le déterminé. La forme bosno-serbe est source d’ambiguïté par son analogie avec serbo-croate. Dans l’une et l’autre composition les deux termes ne sont pas dans le même rapport : à égalité dans serbo-croate ; en relation de détermination dans bosno-serbe. C’est la même chose pour «serbo-bosniaque» qui a fait aussi son apparition sur les ondes. L’aspect savant de ces composés leur vaut un certain engouement.

C’est certainement là la véritable cause du jargon. Sous couvert de respecter la forme locale, certains journalistes (et ils ne sont pas les seuls) n’expriment que leur snobisme et leur pédantisme, d’autant plus ridicules dans le cas présent que «Republika srpska» est une translittération du serbe en caractères romans. Le serbo-croate est, à quelques variations dialectales mineures, la langue commune des Serbes et des Croates (et de tous les Bosniaques). Cette langue est écrite en alphabet cyrillique (comme le russe) par les Serbes, orthodoxes évangélisés par l’église grecque de Constantinople, et en caractères romans (comme le français) par les Croates, catholiques christianisés par l’église latine de Rome. Une transcription en caractères arabes a même été introduite par les musulmans. Autrement dit, «srpska» est un mot croate.

Faut-il donc s’attendre à lire désormais «Hrvatska» pour Croatie, à moins que suivant la même logique, on l’écrive «Xpbatcka» en cyrillique (et pourquoi pas en arabe), dans les dépêches des agences de presse françaises?

 

Autre exemple

Un article intitulé «la Black Connection du football français», qui parle du «club de Torino», de «la Roma» de «Fiorentina», dans lequel football est battu en brèche par «le Calcio», si bien qu’à propos du «stoppeur de Monaco» on se demande s’il ne serait pas munichois. On est presque gêné de lire «Gênes» en français (un moment de relâchement sans doute).

Je me dois d’être didactique pour ne pas être pédant moi aussi, et préciser que «Torino» désigne bien dans l’article la ville de Turin elle-même (et pas seulement le club), que «calcio» (que personne ne sait prononcer) est le nom en italien de ce que nous appelons football, et que Munich se dit «Monaco» en italien. De quoi en rendre plus d’un perplexe à travers le monde, de ceux qui ont foi en la francophonie et croient avoir avec le français une clé de la connaissance. Faut-il pour s’informer en français être polyglotte?

Inutile d’insister. Depuis le temps que les journalistes et les commentateurs sportifs sont raillés pour leur pédantisme déplacé, tout le monde sait qu’il en est qui n’ont aucun sens du ridicule et que les arguments pour le respect de la langue leur restent inaccessibles. Mais lorsque, comme c’est le cas, il s’agit d’une information diffusée par M.F.I. (Médias France Intercontinents) à l’usage des journalistes francophones, que M.F.I. est un service de R.F.I. (Radio France Internationale) qui a pour raison d’être de diffuser et de défendre la langue française à travers le monde entier...

Ce ne sont là que deux exemples entre des milliers, et c’est bien cela qui est grave. Non, ce n’est pas l’anglais qui menace le français, ce sont les Français eux-mêmes et parfois de ceux dont la fonction est de le diffuser et de le défendre. Pour les journalistes[1], dont le métier est d’informer le public, c’est plus grave encore, ils manquent alors à leur mission première.

Ange Bizet

 

[1] Heureusement tous les journalistes ne sont pas concernés.

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