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Vanuatu

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des mots

revue semestrielle de terminologie française

publiée par le Conseil international de la langue française

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Ange BIZET

Problème de toponymie et d'ethnonymie moderne: Vanuatu (Vanouatou)

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Avec l'aide de la Délégation générale à la langue française

CONSEIL INTERNATIONAL DE LA LANGUE FRANCAISE

CILF 1994                                                       N° 48

 

Problème de toponymie et d'ethnonymie moderne

VANUATU

Ange BIZET

Résumé

Pour le nom du pays, des habitants et l'adjectif correspondant, des consignes dont l'origine est indéterminée, imposent dans le discours officiel (textes légaux, administratifs, journaux...) des règles grammaticales qui ne sont que la traduction mot à mot des règles de l'anglais ou du bichlamar (nom du pays sans article « à Vanuatu, de Vanuatu »; deux mots différents pour l'adjectif « vanuatuan » et le nom des habitants « ni-Vanuatu » invariable, avec dérivation préfixale et majuscule au milieu du mot) et ce, en pleine contradiction avec les structures de la langue française et l'usage spontané des francophones. L'auteur faisant le point de la question suggère que les formes lexicales et grammaticales existantes conformes à l'usage normal du français (le Vanuatu, du Vanuatu, au Vanuatu, vanuatais, les Vanuatais) soient employées et au moins cessent d'être considérées comme fautives et ainsi de respecter la spécificité de chaque langue.

Cet article a également été publié dans

le Bulletin scientifique

de la Société d'études historiques

N° 101

4ème trimestre 1994
pages: 92...

S. E. H., Nouméa, Nouvelle-Calédonie.

Problème de toponymie et d'ethnonymie moderne

VANUATU

Ange BIZET

Cet article étudie un cas de terminologie toponymique et ethnonymique en français contemporain dans le domaine francophone en situation de contact voire de concurrence avec le domaine anglophone. Son but n'est ni polémique ni normatif, il se propose en faisant le point de dénoncer une situation normative abusive en contradiction avec les structures du français et avec l'usage spontané des locuteurs francophones.

Le Vanuatu est un État océanien de la Mélanésie dans le Pacifique sud. Avant l'indépendance (1980) le pays était le condominium franco-britannique des Nouvelles-Hébrides.

Vanua est un mot d'origine austronésienne qui signifie « terre » dans les différentes acceptions : « pays », « territoire ». On retrouve ce nom pour une des îles de l'archipel, Vanua Lava dans les Banks et pour une des îles Fidji, Vanua-Levu. Dans l'une des langues de l'archipel, vanuatu signifie « le pays dressé ». Cette étymologie relève d'une connaissance encyclopédique non transparente, la composition est démotivée en français et le mot n’est pas analysable.

La situation linguistique du pays assez complexe est le fruit de son histoire politique.

On compte plus de cent langues vernaculaires dans l'archipel. L'anglais et le français jouent conjointement le rôle de langues officielles et de langues véhiculaires rôle qu'elles partagent avec le bichlamar, plus populaire, qui est une variété de pidgin dont le lexique est formé essentiellement à partir de l'anglais. Le nouveau gouvernement francophone (depuis 1991) souhaite se poser en « leader » régional de la francophonie.

La langue française est soumise à la rude concurrence de l'anglais dont la puissante influence se manifeste même en français dans l'expression de l'identité du pays et de sa population. Des consignes datant de l'époque du gouvernement anglophone imposent de calquer en français des règles grammaticales de l'anglais. Ces formes étant contraires aux structures naturelles de la langue, on observe un décalage entre les discours officiels qui s'efforcent tant bien que mal de suivre ces règles, et l'expression spontanée qui ne peut s'y plier.

Ces règles « officielles » prétendent imposer une série d'exceptions par rapport à l'usage régulier du français dans l'emploi des noms du pays, des habitants et de l'adjectif correspondant: « Vanuatu, à Vanuatu, de Vanuatu, vanuatuan,ni-Vanuatu » à la place de : le Vanuatu, au Vanuatu, du Vanuatu, vanouatais, Vanouatais.

Ces exceptions portent sur trois points principaux :

1- l'usage de l'article avec le nom du pays,

2- la dérivation du nom du pays pour former l'adjectif et le nom de la population,

3- la transcription orthographique.

1. Le nom du pays avec ou sans article

En anglais les noms de pays s'utilisent sans article, il existe des exceptions à cette règle : the United States, the Netherlands, the Gambia.

Le français au contraire emploie l'article devant les noms de pays : l'Italie, le Maroc... Font exception Israël (forme abrégée de État d'Israël et certainement sous l'influence de l'anglais), les noms de petits pays assimilés à des villes Andorre, Monaco... Pour les noms d'îles seul l'usage détermine leur emploi. On dit la Corse, la Martinique...  mais Cuba, Tahiti...

Pour certaines îles leur nom est indissociable de la précision île de -: île de Ré, île de Pâques... comme pour certains archipels les îles de la Sonde, les îles de la Société...

Les autres noms d'archipels sont tous précédés de l'article et il n'existe aucune exception. Ils sont généralement au pluriel, les Antilles, les Bermudes... sauf les noms formés avec le suffixe -nésie et le Japon.

Le cas du Vanuatu (masculin singulier) correspond donc à celui du Japon :

En anglais : Japan, from Japan, to Japan, in Japan...

Vanuatu, from Vanuatu, to Vanuatu, in Vanuatu...

En français : le Japon, du Japon, au Japon...

le Vanuatu, du Vanuatu, au Vanuatu...

 

2. La dérivation

Les noms de pays se dérivent par suffixation pour donner le nom de la population correspondante (gentilé, ethnique ou ethnonyme pour les spécialistes). La France ¬> les Français[1].

Le système français offre une gamme de suffixes dont les plus productifs de la langue contemporaine sont -ien, -ais, -ain, -ois...

L'ethnique ni-Vanuatu est utilisé localement en bichlamar. Cette forme de dérivation ne correspond pas à un système dans cette langue, c'est apparemment le seul mot formé avec ce préfixe, l'ethnonyme se compose normalement avec man-, ex.: Man-Tanna pour les habitants de l'île de Tanna, Man-Franis = Français.

La dérivation préfixale dans un tel cas est impossible en français, cette forme ne peut donc pas s'intégrer à un usage normal de la langue[2]. Si l'on ajoute que selon la règle locale il faudrait mettre la majuscule sur la deuxième partie du mot, ne pas accorder ni au féminin ni au pluriel et que ni-Vanuatu ne devrait être employé que comme nom et ne pourrait pas être employé comme adjectif, il est évident que les Francophones ne peuvent appliquer de telles « règles » grammaticales. En français, l'adjectif est systématiquement identique au substantif sans majuscule, et il n'y a pas d'exception. Peut-on raisonnablement envisager que Vanuatu soit le seul cas de la langue française qui ait deux dérivés différents, l'un substantif, l'autre adjectif?

De toute façon, dans tous les cas il faut au moins un dérivé comme adjectif. Plusieurs formes concurrentes, toutes par suffixation bien entendu, sont employées plus ou moins fréquemment.

Vanuatuan a été forgé avec le suffixe anglais -an. Il est fort peu euphonique en français avec le redoublement /-ua-ua-/ et d'autant plus malaisé que se pose aussi le problème de la prononciation du -u- qui sera abordée plus loin.

Il existe bien le cas de suffixation d'un nom de pays en -an, Nigérian de Nigéria, mais il a une fonction discriminante par rapport à Nigérien de Niger (la terminaison -ia, n'interdit en rien le suffixe –ien : Libéria¬>Libérien).

Pourquoi employer un anglicisme flagrant alors qu'il existe un mot français, Vanuatais ?

 

D'autres formes auraient pu être envisagées, elles ne se sont pas produites essentiellement pour des raisons d'euphonie. La confusion née de la situation actuelle engendre parfois des formes fantaisistes du genre *Nivanuatais ou *Vanuatuanais... Vanuatais est la seule forme acceptable qui devrait être utilisée en français pour le nom comme pour l'adjectif.

3. La transcription orthographique

La graphie Vanuatu qui a été adoptée est conforme au système de transcription anglais mais pose un problème en français. Pour respecter la prononciation, il aurait fallu écrire Vanouatou comme cela se fait pour papou, bantou, zoulou, mandchou, Tombouctou, Ouganda, Soudan, Bhoutan, Mossoul, Kaboul, Istamboul...

Il semble cependant assez difficile (mais pas impossible) de changer maintenant l'usage qui s'est installé.

Or le système de transcription du français ne peut pas supporter de telles entorses, certains noms comme Touamotou/Tuamotu hésitent entre deux graphies.

Il est souvent arrivé que des mots soient empruntés sous une forme graphique ne respectant pas le système graphématique du français. C'est le cas d'autres noms, notamment en Océanie, Nauru, Tuvalu...

Il faut alors savoir que dans cette situation qui n'est pas nouvelle, la prononciation ne reste conforme à l'original que tant que l'usage du nom reste confidentiel, réservé aux initiés polyglottes, mais dès que l'usage se répand, les locuteurs rétablissent tout naturellement la conformité au système de la langue en adaptant la prononciation.

Pérou n'a conservé sa prononciation que parce que l'orthographe s'y est pliée, mais pour Cuba, Honduras, Paraguay, Uruguay, Vénézuéla, dont l'orthographe est restée conforme au modèle espagnol, le -u- se prononce /ü/[3].

Évidemment le fonctionnement est le même quelle que soit la langue d'origine. Quelques exemples suffisent pour s'en convaincre : Brunéi, Sumatra, Surinam, Suez, Hudson...

On peut donc en conclure que, à moins de rester inconnu, le nom Vanuatu, s'il conserve cette graphie en français finira par se prononcer /vanüatü/ suivant ainsi l'évolution de Honolulu. On peut d'ailleurs déjà remarquer cette tendance chez certains Français vivant à Port-Vila, surtout pour le premier -u-.

 

Une prononciation du nom d'un pays différente de ce qu'elle est dans le pays lui-même n'est pas gênante lorsqu'il s'agit d'un pays de langue étrangère. Après tout, on dit Londres et Berlin sans se préoccuper de la façon dont ces mots sont prononcés par les habitants ; mais le Vanuatu est un pays francophone...

Le problème touche également le nom de la monnaie nationale, le vatu qui est prononcé vatou, et est-ce parce que les noms restent invariables en bichlamar qu'il faudrait qu'il en soit de même en français et empêcher ainsi ce mot de s'intégrer pleinement à la langue ?

Si l'histoire et les conditions de l'environnement linguistique permettent de comprendre que la pratique du français ait pu subir une contamination de l'anglais, il serait tout à fait abusif de considérer comme fautives les formes qui ne font que correspondre à l'usage normal et régulier des structures de la langue française.

Pourrait-on imaginer la réciproque : qu'on essaie d'imposer en anglais the Vanouatou?

Quel intérêt peut avoir cette jeune nation à utiliser, pour exprimer son identité, des mots pratiquement impossibles dans le français courant en dehors du pays lui-même et dont la bizarrerie renvoie au domaine de l'exotisme folklorique et du jargon ethnographique ?

-oOo-

 

[1] - La dérivation inverse est plus rare : arabe -> Arabie, lapon -> Laponie... Les formes irrégulières sont anciennes et ne sont plus productives : Angleterre / anglais, Allemagne / allemand...

[2] - On ne trouve de ces formes que dans la littérature ethnographique, dans le jargon des spécialistes qui parfois utilisent par exemple le préfixe ba-, pluriel des noms ethniques dans les langues bantoues. Le mot bantou lui-même, étymologiquement se compose de ce préfixe pluriel et de -ntou (homme), cela ne saurait en aucun cas constituer système en français, pas plus que dans d'autres langues, aussi, on dit « un Bantou », les composantes sont démotivées sémantiquement et grammaticalement.

[3] On utilise ici /ü/ pour noter le phonème vocalique de rue au lieu du /y/ de la notation phonétique officielle de l’A.P.I. pour éviter que les non spécialistes ne prononcent /i/.