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Un patio koweïtien

Un patio koweïtien

Publication initiale dans Défense de la langue française n° 211, 1er trim. 2004

DLF publie souvent des rappels à la « bonne prononciation » de certains mots. J’y relève patio. Le mot espagnol se prononce avec un t comme dans partie, et c’est ainsi que les ouvrages de référence recommandent de le faire en français. Pourtant, de plus en plus, on entend « passio ». Cette « faute », à contre-courant de la mode qui est à calquer les prononciations étrangères, à les rétablir, voire à les inventer, s’explique par la régularisation en français.

Patio est ressenti comme appartenant à cette série du latin en –tio qui a donné les milliers de noms français en –tion. Qu’importe qu’il n’en soit rien, sans même faire appel à la philologie, le système du français contemporain est clair. Les seuls mots qui ne se prononcent pas –ssion /sjõ/, sont :

- des formes conjuguées (montions, battions),

- ceux en –stion (bastion, question, gestion...).

Patio est le seul mot terminé par -tio, avec les formes latines tertio et ratio. La finale orale en /sjo/ écrite avec un t se retrouve dans les pluriels en

-tiaux ( partiaux...).

La prononciation /tjo/ ne se trouve que dans petiot, forme dialectale échappant au système, comme affûtiau, à demi archaïque, dont l’accent circonflexe rappelle la séquence -st-, toujours présente dans bestiaux.

Je suis moi-même agacé quand j’entends prononcer patio comme passion, mais cela me vient à l’évidence de ma pratique de l’espagnol. Patio devient un mot français, son intégration régulière au système est naturelle, l’usage donne raison à la règle sur la norme.

Que dire alors du dérivé de Koweït ? Ce nom était peu employé en français avant la guerre du Golfe. Sa forme graphique a longtemps connu de nombreuses variantes Koueit, Koueït, Koveit, Koveït, Kouaït... sans parler des variantes étrangères, Kuwayt, Kuweit, Kuwait... L’hésitation sur le tréma est le dernier avatar, sans grande importance ; tréma ou pas, l’emploi courant finira par fixer la prononciation sur /kowεt/.

Selon le système français, le nom des habitants, Koweïtien, est régulièrement formé sur l’adjectif  dérivé par un suffixe très productif. La prononciation ne devrait pas poser de problème.

Les mots avec la finale -tien se prononcent /sjɛ̃/ :

- Dioclétien, Domitien, Gratien, Titien, tribunitien, capétien, déodatien (de Saint-Dié),

- les dérivés de noms en -s ou -se : laotien, vénitien,

- les dérivés de noms en -tie (prononcé /si/) : dalmatien, béotien, helvétien,

- mais aussi de ceux dont la finale -ti se prononce /ti/ : tahitien, haïtien, djiboutien,

- et en -t ou -te : lilliputien, égyptien.

 Cette alternance consonantique appartient au génie de la langue.

Ne se prononcent /tjɛ̃/ que :

- les monosyllabes

         - le pronom tien

         - le verbe tenir dans ses formes conjuguées, tiens, tient,

         - les verbes qui en sont dérivés par préfixation, obtient, maintiens...,                - les noms dérivés, soutien, entretien... ;

- les mots en -th-, corinthien, pythien,

- ceux avec la séquence -st-, Bastien, Sébastien, y compris chrétien.

 Autrement dit le même système que pour -tion.[1]

La prononciation régulière de koweïtien est donc clairement en /sjɛ̃/. La prononciation en /tjɛ̃/ s’explique par l’ignorance du système qui n’est pas enseigné (il ne le serait qu’en français langue étrangère à un niveau supérieur), et surtout par l’influence de l’anglais kuwaiti formé directement sur l’arabe. L’emploi du suffixe français régulier l’a emporté sur « koweiti », calqué sur la forme étrangère[2] qui a pourtant laissé sa trace à l’oral.

L’usage l’emporte sur la norme quand il rétablit la régularité du système, mais l’exception à la règle  n’a aucune légitimité quand sa seule explication est la contamination par une langue étrangère. Il est alors normal de corriger. Certains hésitent sur la prononciation de djiboutien quand ils n’en ont qu’une connaissance écrite. Dès qu’ils sont initiés à l’oral, la prononciation régulière leur devient évidente. Il suffit d’employer quelques fois koweïtien comme égyptien et haïtien, pour se rendre compte que ce qui est régulier est normal.

Ange Bizet

 

[1] ... mais aussi –tiable, -tiaire, -tial, -tiel, -tieux, -tium, -tius...

[2] Les médias continuent trop souvent, faute de bonne traduction, d’employer « Qatari », « Bagdadi »... à la place du français, Qatarien, Bagdadien, Bahreïnien, Riyadien, Mascatais...

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